CHAPITRE 6

Je m’étais déjà retrouvée engagée dans un combat singulier et mortel avec des guerriers hork-bajirs de deux mètres dix ; j’avais failli recevoir des tirs de rayons Dracon, qui vous désintègrent lentement. Mais jamais on ne m’avait tiré dessus avec un brave pistolet ordinaire, de tous les jours.

Après tout ce que nous avions vécu, ça paraissait dingue.

PAN ! PAN ! PAN !

Pfftt ! J’entendis un projectile s’abattre dans le sable à quelques centimètres de mon pied.

— Aaahhh ! m’écriai-je, sous l’effet de la surprise.

Et ça, ça n’était pas un rêve, ça se passait pour de vrai ! Une main brutale m’attrapa alors et me tira en avant. Jake.

J’étais restée sans pouvoir bouger quand j’avais entendu la balle tomber si près.

< Ils sont tous dans les dunes ! cria Tobias. Allez-y maintenant ! >

— Venez ! ordonna sèchement Jake.

Il me tira à moitié en haut de la dune la plus proche, mais je m’étais déjà remise en mouvement toute seule. Je grimpai le long de cette dune en m’agrippant aux touffes d’herbe, et en poussant dans le sable avec les pieds.

La crête de la dune. Nous nous sommes laissés glisser et nous avons roulé de l’autre côté. Nous avions regagné la plage. Je risquai un rapide coup d’œil sur la droite : aucune lumière. Ils étaient tous dans les dunes, en train de nous chercher.

— Entrez dans l’eau, fit Jake, et morphosez en poisson.

— Jake, haletai-je. Les truites… Ce sont des poissons d’eau douce… Ici c’est de l’eau de mer.

— Tu as une meilleure idée ?

— Non, répondis-je.

Nous sommes entrés à grands pas dans les vagues écumantes. Tout en courant, je m’imaginais le poisson. Je me remémorais quand j’avais été poisson. Je me concentrais autant qu’il est possible de le faire avec une douzaine de Contrôleurs aux trousses.

Mes pieds me lâchèrent. Ils avaient commencé à disparaître. Je tombai dans l’eau et bus la tasse.

Je voulus maintenir la tête hors de l’eau, mais mes bras disparaissaient rapidement. Les vagues étaient de plus en plus hautes autour de moi à mesure que je rapetissais. Mes vêtements suivaient le mouvement de l’eau. Les gens du Partage, les Contrôleurs, accoururent sur le rivage. J’aperçus la lueur de leurs torches, bizarrement déformée par mes yeux qui passaient de l’état humain, adaptés à l’air, à celui de poisson.

Avec ce qu’il me restait d’oreilles, j’entendis :

— Les traces mènent droit dans l’eau.

La voix de Tom.

Puis celle de Chapman :

— Je ne les vois pas. Ils ne peuvent pas nager bien loin, le courant est trop fort. Déployez-vous tout le long de la plage.

— Tu crois que ce sont les guérilleros andalites ?

— Non, ce sont des traces d’humains. Sans doute juste des mômes. Je ne crois pas qu’ils aient vu quoi que ce soit. Cet imbécile n’aurait pas dû tirer.

— Chef, s’écria une nouvelle voix. Nous avons trouvé un blue-jean dans l’eau. Apparemment, ça pourrait appartenir à un enfant.

— Il y a des papiers dedans ?

— Non, rien.

— Une coïncidence, estima Chapman.

— Si ce sont des humains, pourquoi ne les voyons-nous pas dans l’eau ? demanda Tom. Quatre pistes humaines, et aucun humain dans l’eau. Est-il possible… Vysserk Trois se trompe-t-il ? Et s’il ne s’agissait pas du tout d’Andalites ?

Je m’enfonçai sous l’eau. Mon animorphe était presque terminée. Mais avant de sombrer, j’entendis Chapman partir d’un rire cruel.

— Vysserk Trois se tromper ? dit-il. Peut-être. Mais c’est pas moi l’imbécile qui irait le lui dire !

L’animorphe était terminée. J’étais devenue un poisson de moins de trente centimètres de long. Une truite, pour être exacte. Excellente au four, à la poêle ou grillée.

L’eau de mer me piquait les écailles, et mes ouïes arrivaient à peine à respirer.

< Tout le monde va bien ? >

C’était Jake. Maintenant que nous avions morphosé, nous avions tous la même capacité de parole mentale que Tobias.

< Ça va, le rassurai-je. Mais je peux à peine respirer. Je crois qu’on a intérêt à se dépêcher. >

< D’accord avec Cassie, dit Rachel. J’ai les écailles qui me brûlent. Et mes ouïes sont en feu. >

< Gardez le rivage sur votre gauche et nagez aussi vite et aussi longtemps que vous le supportez >, nous conseilla Jake.

< Marco ? Tu es là ? > demandai-je.

< Oh, bien sûr. Où veux-tu que je sois ? Qu’est-ce qu’il pourrait bien y avoir de plus marrant que de courir dans les dunes en se faisant tirer dessus, et puis de sauter dans l’océan et de se transformer en truite, poisson qui, soit dit en passant, ne peut pas vivre en eau de mer ? Je n’aurais raté tout ça pour rien au monde. Et maintenant, est-ce qu’on peut rentrer regarder la télé ? >